Nous avons échangé avec Aline sur Instagram et nous nous sommes rencontrées à Paris en novembre dernier. C’est autour d’un rooibos et d’un cheese cake que nous avons parlé trail, maternité, solitude et dossard. Let’s Go Girlz !
Quel(s) sport(s) pratiques-tu ? Et à quelle fréquence ?
À la base, je pratique majoritairement du running, avec une préférence pour le trail. J’ai commencé récemment le vélo de route en complément. En moyenne, je dirais 3 séances de sport par semaine et quand je tiens mes bonnes résolutions, une de plus, avec du yoga/assouplissement. Je suis enceinte de 5 mois, du coup je marche beaucoup et je fais du renforcement musculaire. Je ne ressens pas l’envie de faire beaucoup de sport depuis mon début de grossesse, juste de m’écouter et de me faire plaisir.
Quand as-tu commencé le sport et quelles étaient les raisons à l’époque ?
J’ai grandi à la campagne, donc j’étais souvent dehors pour me promener, courir, marcher. À l’époque on appelait pas ça faire du sport, mais vivre. À l’âge de 11 ans, j’ai commencé le judo en même temps que mon petit frère. Je n’aimais pas trop le sport, je finissais chaque séance d’endurance en pleurant car le stade était bien trop grand… Je suis plutôt petite et j’avais presque deux ans de moins que les copains de ma classe, mais j’étais contente de faire une activité extra-scolaire.
J’ai rapidement accroché, j’aimais bien le côté « bagarre » du judo. J’étais une jeune fille polie qui ne faisait pas de bruit et au judo je lâchais cette jeune fille pour me battre, pour devenir compétitrice. Je suis rentrée en sport-étude trois ans plus tard, un peu sur un malentendu mais ça a été la révélation. J’ai découvert que j’avais l’esprit de compétition, et surtout j’ai commencé à courir, pour me mettre à niveau « physiquement » pendant l’été avant la rentrée au lycée. Je n’étais pas vraiment douée pour le judo, mais au moins je prenais du plaisir à chaque séance de préparation physique où il fallait aller courir.
J’ai repris le sport après ma première grossesse, pour le plaisir. La progression dans le running étant rapide, j’ai pris rapidement un dossard pour un trail dans un village à côté de mon domicile. Puis j’ai fais une une autre course plus longue, et je me suis rendue compte que j’aimais vraiment courir longtemps. Je me suis ensuite inscrite à un stage avec le groupe « Trail entre elles ».
Ce stage a débloqué pas mal de barrières chez moi, j’imaginais que les femmes de ce groupe étaient des grandes sportives alors qu’en fait il y avait des femmes hyper sportives d’autres moins, elles sont comme moi finalement.
Où pratiques-tu ton sport et quel est ton spot favori ?
J’habite en pleine campagne, en Franche-Comté, j’ai un super terrain de jeu tout autour de chez moi, même si c’est un peu plat à mon goût. Ce que je préfère, ce sont les sorties à Besançon où j’ai la chance de travailler. C’est un super terrain de jeu, hyper varié, très nature, avec de jolies collines qui donnent des points de vue magnifiques. Depuis peu il y a plein de sentiers trails balisés en accès libre, hâte de pouvoir y crapahuter.
Qu’est-ce que t’apporte le sport au quotidien ?
De l’air ! Au sens propre comme au figuré. Je passe une grande partie de mes journées dans ma voiture, derrière mon ordinateur ou en réunion, alors j’ai besoin de profiter en extérieur. Et au sens figuré, ce sont des moments à moi, rien qu’à moi, où je ne suis en charge de personne, je fais ce que je veux quand je veux (le gros avantage de la course à pied). Le sport me recharge, il m’apaise, je ne me pose pas de questions, j’oublie la charge mentale.
Ça m’apporte aussi des émotions. Sur ce plan là, je ne suis pas très fortiche dans ma vie au quotidien. Je n’aime pas perdre le contrôle et l’émotion c’est par principe quelque chose que tu ne contrôles pas. Alors en faisant du sport, j’aime l’adrénaline des départs de course, j’ai ce sentiment de flow qui m’envahit au bout de quelques kilomètres, cette impression que tu ne vas jamais y arriver quand tu es dans le dur, cette fierté extrême à l’arrivée, ce partage quand tu croises le regard d’un autre coureur qui en bave ou qui kiffe…
Le sport a-t-il changé la vision que tu avais de toi et ta vision du sport en elle-même ?
Pour moi, le sport c’est clairement la voie de l’empowerment. Je n’arrive pas à trouver de traduction qui fasse fidèlement ressortir ce que je mets là derrière.
Ce n’est pas une histoire de pouvoir ou de puissance, c’est être forte, être soit même, oser.
J’ai un naturel plutôt réservé, pipelete mais plutôt discrète et très trouillarde (la foule, l’inconnu, les animaux). Et pourtant, quand je cours j’ai l’impression d’être « intouchable ». J’ose faire des choses improbables pour moi, m’inscrire à une course seule, dans une grande ville, aller passer 4 jours en stage avec des inconnus, me lancer dans une sortie longue de nuit alors que je n’ose pas aller jusqu’à ma boîte aux lettres… Et ça se ressent dans le reste de ma vie, j’ose et je m’autorise davantage de chose.
La pratique sportive, et surtout la course à pied, m’a délivrée d’un « syndrome du bon élève ». Celui où tu te fonds discrètement dans la masse en faisant exactement ce qu’on attend de toi que tu fasses. Celui où tu ne te lances pas tant que tu n’es pas certaine d’y arriver. Clairement, quand tu t’inscris à un trail avec une distance et un dénivelé dont tu n’as pas conscience, tu prends des risques. Ou quand tu te lances dans ton premier marathon, même avec la meilleure préparation du monde, tu n’as aucune garantie d’arriver à réussir. Et pourtant, je fonce, avec le sourire et sans stress, sans me soucier du résultat final ou de ce que les autres peuvent en penser.
J’ai aussi enfin compris que j’aimais faire des choses seule, des choses pour moi, et enfin oser assumer ce côté égoïste. C’est paradoxal car j’adore être en groupe, j’adore le partage qui se retrouve sur les courses ou lors des entrainements, je passe mon temps sur les réseaux sociaux. Mais quand il s’agit de course à pied, je peux facilement préférer un entrainement solo qu’un regroupement. Je peux refuser un dîner pour aller à la salle ou m’inscrire sur une course qui est loin et difficile, même si personne n’est disponible ou motivé pour m’accompagner, simplement parce que c’est celle-là que je veux faire. Je m’autorise à être égoïste et ça fait du bien !
Quels ont été ton meilleur et ton pire moment sportif ?
Pour le meilleur moment, j’ai longtemps hésité avec certains souvenirs au judo car j’y ai vraiment passé de chouettes années. Mais en lien avec ce que j’ai pu dire plus haut, et aussi parce que je crois que c’est le souvenir que je raconte tout le temps (pardon les amis !), mais comme nous parlons de running, je dirais le stage de trail dans les Calanques. Je venais de découvrir le groupe Facebook Trail entre Elles. J’avais recommencé à courir en début d’année et je vois une annonce pour un stage dans les Calanques, qui tombait à peu près autour de mon anniversaire. Les Calanques c’était le rêve, le genre de paysage que je n’avais vu qu’en photos ou dans des reportages. La nature brute et puis la mer que je n’avais pratiquement jamais vu. Ni une ni deux, je fonce m’inscrire. Puis je réalise que nous allons courir deux jours de suite plus de 25 kms par jour avec un joli dénivelé avec des filles que je ne connais absolument pas et qui sont sûrement toutes sur-entrainées. C’était la panique. J’envoie un mail à une certaine Emilie Lecomte qui animera le stage et elle me rassure très gentiment sur le niveau des autres stagiaires. Et tout à été parfait du début à la fin. J’ai eu l’impression de retrouver des amies alors qu’on ne s’était jamais connu auparavant et les affinités se sont confirmées après ces quelques heures passées ensemble. Les paysages étaient à couper le souffle, les soirées à refaire le monde parfaites… Mais surtout, je me suis rendue comte que ces filles qui alignent les kilomètres et partagent la même passion, sont comme moi avec deux bras, deux jambes, un boulot, une famille.
Ça m’a clairement débloquée un truc pour oser me lancer et continuer à partager cela.
Mon pire moment, là j’ai eu plus de mal à en trouver c’est très rare que le sport m’ait apporté de mauvais moments. Je dirai une séance d’entrainement sur ma préparation marathon, où j’ai bien galéré. Elle avait été compliquée à caler niveau logistique, j’avais trouvé un créneau pendant que le fiston était à l’école, mais il me fallait alors être rentrée bien à l’heure pour le récupérer. La météo était pourrie. Je n’avais pas de jambes, mal au ventre, bref que des mauvaises sensations. Je me suis retrouvée à plusieurs kilomètres de mon lieu d’arrivée, à cracher mes tripes et mes poumons au bord de la route, en me demandant ce que je foutais là et pourquoi je m’infligeais tout ça. Je trouvais cela pathétique et ridicule. Heureusement dès le lendemain j’étais passé à autre chose et repartait baskets aux pieds et sourire aux lèvres.
Quel est ton prochain objectif ?
Je suis actuellement en « pause » running, alors le premier objectif sera la reprise post-accouchement… La naissance est prévue fin mars, mais je ne projette rien de trop rapide. Une légère reprise à l’été et pourquoi pas un tout petit dossard d’ici la fin 2019 me satisferont pleinement.
À plus long terme, j’ai deux objectifs qui ne quittent pas ma tête. Le Connemarathon. J’ai un attachement fort à l’Irlande et je rêve d’y courir. Cette course-là est sur bitume, mais dans des paysages grandioses. Quitte à y aller autant en profiter au maximum et partir sur l’UltraConnemarathon (environ 64kms avec quelques grimpettes).
Et le Morocco Tizi Trail qui est un trail en étapes de plusieurs jours dans le désert marocain. Les Trail entre Elles y participent chaque année et ça m’a l’air très très chouette comme aventure.
En tant que femme a-t-il été plus ou moins difficile de commencer (et d’exercer) une activité physique par rapport à tes barrières, la société, le regard des autres ?
Pas particulièrement au début quand j’étais une fille de 10 ans. Le judo est un sport où les médailles sont souvent ramenées par des filles. J’avais l’impression que la médiatisation était équivalente aux garçons et je pense que c’est quelque chose qui compte pour s’identifier. Après j’aimais aussi ce côté minoritaire qui clairement m’a permis d’avancer plus vite. Lorsque les trois premières filles étaient qualifiées pour l’étape d’après, et que nous n’étions que deux, même si je ne savais pas aligner trois prises je me retrouvais en championnat ! Ça boostait aussi et renforçait la solidarité entre nous. Ça donnait aussi lieu à des situations cocasses puisqu’au tout début dans mon club de village, nous avions une toute petite salle et les filles partageaient leur vestiaire avec le placard à balai et le seul lavabo de la salle. J’aime ce côté d’être là où on ne m’attend pas, à contrepied je suis plutôt du genre « caméléon » à me fondre dans la masse discrètement et les gens sont toujours un peu surpris : « ah toi t’es ceinture noire oulala faut pas t’embêter » ou « mais tu cours vraiment aussi longtemps ? ».
En revanche, l’âge avançant je ressens de plus en plus de pression sociale à travers des remarques « mais comment tu trouves le temps de faire tout ça ?», « et ton mari il ne dit rien que tu partes tous les week-ends ? » « bon maintenant avec deux enfants tu vas peut être lever le pied ». Comme si avoir un travail/un mari/des enfants étaient un sacerdoce qui entrainait l’arrêt des autres activités personnelles et celles qui procure du plaisir… En gros « tu t’es bien amusée mais maintenant il faut passer aux choses sérieuses ». Ça me fait doucement rire car c’est justement depuis que j’ai pris un poste à responsabilités et eu un enfant que j’ai augmenté le volume d’entrainement et le niveau de mes objectifs ! Ça me conduit insidieusement à la revendiquer, à travers des broutilles comme mon hashtag #happybusyworkingrunningmum alors que ce n’était pas important pour moi. Ce que j’aime à travers les #runningmum, c’est qu’on est pas là pour revendiquer un côté super héros mais pour partager les bonnes astuces niveau organisation et surtout déculpabiliser.
Quel message pourrais-tu livrer aux femmes et aux jeunes filles ayant envie de faire du sport mais n’osant pas ou aux femmes qui se persuadent que le sport n’est pas fait pour elles ?
S’écouter. Faire confiance à cette petite voix qui te dit que tu en as envie.