Maude et Vanessa ont créé les Bornées : un projet de féminisation du cyclisme. En 2018, elles ont décidé de prouver que le cyclisme de route est accessible à toutes et à tous en bouclant la mythique Etape du Tour de France avec la création d’une communauté #lesbornées. Comment en sont-elles arrivées à cet objectif, qui sont-elles, qu’est ce qui les inspirent ? Découvrez ces femmes qui sont sportives avant d’être bornées !
Quel(s) sport(s) pratiques-tu ? Et à quelle fréquence ?
Maude : Actuellement je pratique trois sports : la natation, le cyclisme de route et la course à pied. Le tout dans une logique de finir mon premier IronMan. Normalement je rajoute un peu de renforcement mais sur cette période assez chargée au niveau physique, j’ai décidé de le mettre de côté pour limiter les risques de me blesser de fatigue.
Je m’entraine 6 fois par semaine, avec au minimum 2h d’entraînement sur chaque séance. Cela représente en moyenne 14h d’entraînements.
Vanessa : En ce moment je suis en préparation triathlon. En toute logique je pratique la natation, le vélo et la course à pied. Pour la fréquence, comme c’est pour une distance IronMan, je suis entre 5 et 6 entraînements par semaine. L’avantage du triathlon c’est qu’on est jamais sur le même sport, aucune chance de s’ennuyer !
Quand as-tu commencé le sport et quelles étaient les raisons à l’époque ?
Maude : J’ai commencé dès bébé, ma tante était professeure de danse donc nous avons été envoyées tôt dans ses pattes afin de faire les baby gym. Je crois que j’ai commencé vers l’âge de 2 ans, peut être 3 ans. J’ai continué la danse sans grande passion mais parce que toutes les filles le faisaient.
Puis j’ai découvert l’équitation au cours d’un stage en vacances, ça a été mon switch et j’ai adoré en faire pendant 10 ans. J’aimais prendre le temps et y passer tout une après-midi pour préparer le cheval, retrouver mon groupe de copines hors de l’école et partager notre passion commune. Ce que j’appréciais dans l’équitation, c’est la perte de contrôle, ne pas maîtriser complètement et me laisser guider par le cheval.
En parallèle j’aimais bien les sports que je pouvais pratiquer en famille : le roller, le badminton, le vélo (en vacances avec un VTC), le bodyboard, le catamaran. Tout ce qui demandait un peu d’adrénaline me plaisait j’ai donc aussi fait pendant 5 ans de l’escalade à l’école.
J’ai quasiment tout arrêté en école supérieure, privilégiant le fait d’avoir des expériences professionnelles et plusieurs emplois étudiant en même temps.
C’est à la sortie de l’école que j’ai décidé de me reprendre en main, j’ai tenté de m’inscrire dans une salle mais c’était clairement pas fait pour moi. J’ai donc tenté le running sans grande passion ni intérêt car à l’époque je n’aimais pas courir. C’est avec le temps que j’ai fini par voir les bénéfices et apprécier cet effort, notamment avec les évolutions.
Je pense que les principales raisons ont toujours été les mêmes : un besoin de liberté, un trop plein d’énergie, un trop plein de stress aussi mais surtout un goût du dépassement.
Vanessa : Si on remonte vraiment à ma première inscription en club, c’était pour être pom-pom girl ! J’avais 7 ans et je voulais faire comme mes copines d’école. Et puis j’ai cramé mes pompons en les laissant trainer trop près du poêle à fioul. Ça a donné lieu à pas mal de moqueries, je ne rentrais pas dans le moule de la « fille », j’ai donc arrêté car l’ambiance ne me convenait plus. J’ai enchaîné avec 6 ans de karaté, parce que c’était à l’opposé des pom-pom et que le groupe était fréquenté principalement par des garçons. J’avais besoin de changer d’environnement et de ne plus subir de moqueries. Les sports de combat ont des valeurs dans lesquelles je me retrouvais : le partage, la solidarité, le respect etc. Raison pour laquelle j’ai pratiqué le karaté pendant autant d’années. Arrivée à la ceinture marron, n’ayant pas de prétention pour atteindre un niveau national et privilégiant mes études, je stoppe ma pratique.
Bien plus tard, je reprends la course à pied en endossant le dossard de mon père qui ne pouvait pas finir cette course après un AVC. Puis je suis une amie dans l’aventure su triathlon en format M et je m’inscris dans un club.
Les Bornées : Fin 2017, on parle en rigolant de faire l’étape du Tour de France. C’est devenu une private joke récurrente qui s’est transformée en réalité. Nous prenons notre dossard et suite à des réflexions sexistes qu’on reçoit chacune de notre côté, on lance les Bornées. En 2018, nous étions 4 à finir l’étape du Tour #LesBornéesbraquentletape, en 2019 nous serons 30 et en 2020 #LesBornées seront dans toute la France.
Où pratiques-tu ton sport et quel est ton spot favori ?
Maude : Dehors, c’est mon critère principal. Ensuite, si je peux trouver un espace excentré des voitures (car Parisienne) c’est le must. Donc j’aime courir dans le Bois de Boulogne, partir dans des petits villages en Vallée de Chevreuse ou dans le Vexin histoire d’oublier un peu cette vie citadine.
Mais avec le travail je dois être honnête, je pratique aussi beaucoup le sport au plus proche de mes rendez-vous professionnels et de mon domicile.
Nous avons un RDV hebdomadaire avec Vanessa chez Kilomètre 0 pour nos entrainements d’indoor cycling. On adore aller là bas pour déconnecter le temps d’une séance.
Vanessa : Je ne sais pas si c’est à cause de la préparation, mais je n’ai pas spécialement de sport préféré. Je crois que c’est plus lié à un cadre ou un environnement. J’aime faire du sport en extérieur (run, trail, vélo, natation), pouvoir le pratiquer en groupe, et pouvoir me dépasser quand j’en ai envie. Après l’IronMan, je ne sais pas encore quel(s) sport(s) je pratiquerais, je pense y aller au coup de coeur!
Qu’est-ce que t’apporte le sport au quotidien ?
Maude : D’être plus apaisée, c’est le seul moyen que j’ai pour évacuer rapidement le stress de mon quotidien. Je possède plusieurs entreprises, un projet de féminisation du sport, j’ai la préparation IronMan, parfois tout porter sur ses épaules est un peu lourd. Donc le sport est ma soupape de décompression. J’ai toujours aimé les sports à sensation, les sports dans lesquels je dois lâcher prise me permettent de ne plus contrôler et de me laisser surprendre.
Ca m’apporte aussi une bonne hygiène de vie, une santé de folie car je tombe très peu malade, un physique qui me plait, un corps dans lequel je me sens bien. En harmonie.
Le sport me rend fière, fière de mon évolution et de mes performances.
Vanessa : C’est une soupape. J’ai souvent besoin de me rassurer. Passer un entrainement, aller au bout, c’est pour moi une manière d’avancer. C’est une manière de me sortir de ma zone de confort et de me prouver que je suis capable. Il y a aussi un autre apport très complémentaire que j’ai pu découvrir grâce aux Bornées. C’est le sport comme moment de partage. Aujourd’hui on a une super équipe et rouler ensemble apporte parfois beaucoup plus qu’une manière de se dépasser. La cohésion, partager un sport en équipe, être solidaires entre nous, nous nous dépassons ensemble et c’est la force des Bornées.
Les Bornées : Avec les Bornées, nous prônons des valeurs de partage, de bienveillance, nous permettons à chacun de trouver sa place dans notre communauté. Débutant.e ou confirmé.e, tout le monde peut venir rider avec nous. Nous faisons en sorte que le cyclisme, qui est un sport très masculin et élitiste, soit un sport accessible à tous et toutes avec une volonté d’intégrer les femmes pour une meilleure égalité. Pour nous, rien ne nous rend plus fières que de voir une femme débutante intégrer le groupe et être capable de s’épanouir. Nous portons la communauté avant tout.
Le sport a-t-il changé la vision que tu avais de toi et ta vision du sport en elle-même ?
Maude : Le sport m’a réconcilié avec mon corps. Je me suis découverte comme étant capable de faire bien plus que je n’imaginais. Finalement il est plus solide qu’on ne le pense notre petit corps. Mon corps aujourd’hui est mon équilibre, je le protège, j’en prends soin. Je me suis vu plus combative, plus forte, plus déterminée face aux personnes qui n’ont pas cru en moi. Je suis aussi beaucoup plus apaisée, apaisée vis-à-vis de moi-même et du regard des autres.
La vision du sport a évolué, je suis passée d’une vision purement loisir à une vision compétition et maintenant je pense avoir trouvé un bon équilibre entre les deux. Ne pas trop accrocher de dossards mais avoir quand même ces petits challenges qui vous font vibrer dans l’année : la demi-mesure.
Vanessa : La vision que j’ai de moi : oui certainement. Aujourd’hui j’ai 30 ans et je ne pratique plus le sport comme il y a 10 ans. Je dirais que la vision que j’ai de moi a évoluée avec la perception que j’ai du sport. Quand je me suis mise à la course à pied, j’ai perdu énormément de poids au point de développer des TCA. Au début c’était un bien-être, je me sentais de plus en plus à l’aise en course suite à ma perte de poids, puis j’ai commencé à vouloir perdre encore plus pour être toujours plus performante. Depuis, j’en suis revenue mais malgré tout, aujourd’hui, je perçois avec complexité mon corps, j’ai encore du mal à me regarder et me trouver jolie.
Ces derniers mois avec la préparation IronMan, je me rends compte qu’il faut que mon corps ait suffisamment d’apports, qu’il soit musclé et que je dois en prendre soin afin d’atteindre mes objectifs. Je découvre que mon corps est plus qu’un outil, c’est mon allié. Je respecte mon corps bien plus qu’avant, j’apprends énormément sur lui, sur moi et sur ma vision du sport avec cette préparation.
Concernant la vision du sport, elle a évolué puisque j’ai pratiqué souvent pour les autres, avec un but collectif et un engagement. Pour la première fois de ma vie avec cet IronMan, je m’entraîne pour moi, rien que pour moi.
Quels ont été ton meilleur et ton pire moment sportif ?
Maude : Mon meilleur moment : je dirais indéniablement le passage de la ligne d’arrivée de mon premier marathon. J’étais galvanisée par l’effort, la foule, mes amis et famille présents. J’ai vécu une course merveilleuse sans me prendre de mur, sans me sentir dans un mal complet, j’étais tout sourire. Le tout en faisant un sub 4h ce qui était mon objectif secret. Le dossard, la médaille, le temps escompté et le sourire. Que demander de plus ?
Mon pire moment restera le col des Glières lors de l’étape du Tour 2018. Une bonne grosse hypoglycémie dans le col avec des jambes et des bras qui se mettent à trembler à cause du manque de sucre. Je crois que je n’ai jamais mangé et bu aussi vite sur une sortie vélo. J’ai eu peur de ne pas réussir à repartir. Mais une dizaine de minutes plus tard je suis remontée sur le vélo poussée par un camarade et ça m’a tellement boostée que je suis partie comme une flèche jusqu’au sommet.
Vanessa : Mon meilleur moment sportif, c’est la ligne d’arrivée de ma toute première course. Un trail de 13kms organisé par mon village. Mon père venait de faire un AVC j’avais pris son dossard. J’étais pasée par un ami de la famille. À 500m de l’arrivée je n’en pouvais plus, j’avais tout donné. Je me souviens que mon ami s’est mis à côté de moi et m’a dit « Pourquoi tu fais cette course? ». Je savais que c’était pour mon père. Ça m’a automatiquement reboostée. J’ai pu accélérer et même terminer 3ème. Depuis j’ai appris à faire mes courses différemment mais ce moment reste l’un des plus forts.
Mon pire moment c’est certainement ce moment Rasta Rocket. Je prenais le départ d’un petit triathlon en région et la combinaison n’était pas obligatoire. J’y suis allée en tri-fonction. J’ai fait un malaise dans l’eau, j’ai été récupérée par un canoë. Après avoir passé un moment à l’infirmerie, je suis allée récupérer mon vélo dans l’aire de transition. Tout le monde me regardait et il n’y avait plus que mon vélo. Un moment de solitude. Mais aussi un vrai moment d’apprentissage.
Quel est ton prochain objectif ?
Maude : L’IronMan de Nice 2019. Un gros objectif car c’est un mix des trois sports mais en version très longue distance. Un challenge personnel car je ne suis pas triathlète de base. Mais un format que je vais adorer je pense car j’ai un affect particulier pour les épreuves de long, j’y prend plus de plaisir que sur du court. Le goût de l’effort y est différent, plus jaugé, dans la gestion et j’aime bien cela.
Vanessa : Half-Ironman, Ironman et Etape du Tour. Une année plutôt intense !
En tant que femme a-t-il été plus ou moins difficile de commencer (et d’exercer) une activité physique par rapport à tes barrières, la société, le regard des autres ?
Maude : J’ai grandi dans une famille de deux filles, donc clairement être une femme n’était pas du tout une problématique. Il faut dire que j’avais des parents qui nous ont poussé à faire des activités que l’on aime, dans lesquelles on pouvait s’épanouir. Je l’ai ressenti quand je suis arrivée dans le monde du running, où on te parle de temps, de distances, de niveaux. Venant de l’équitation où le niveau n’est pas une question de sexe mais de technique, forcément cela fait bizarre.
Je l’ai ressenti quand je suis arrivée ensuite dans le vélo où la place de la femme est clairement remise en cause par des réflexions machistes et sexistes qui ont tendance à direct m’énerver.
Être une femme et faire du sport c’est être jugée : sur sa tenue (jugée trop ceci ou trop cela), sur ses performances (souvent dénigrées), sur son corps et son poids (trop maigre ou trop grosse). Bref, être une femme c’est s’exposer continuellement à la critique, voire même parfois à être « matée » car c’est sûr, lorsque l’on met un short c’est pour se faire klaxonner dans la rue.
J’essaye d’en faire abstraction. Je me dis que ces détracteurs et détraqués reportent sur la femme leurs propres complexes ou problèmes d’identités.
Vanessa : Au démarrage non. Sur certains sports oui. J’ai arrêté ma pratique du triathlon en club pour des raisons très concrets ; en natation, les hommes derrière moi me tiraient les jambes pour me ralentir. En vélo, dès que je sautais (je ne tenais pas en peloton), je rentrais solo. Je pense qu’on peut appeler ça du machisme. Mais le plus important c’est que de cette difficulté passée, je pense en avoir fait une force aujourd’hui avec Les Bornées.
Quel message pourrais-tu livrer aux femmes et aux jeunes filles ayant envie de faire du sport mais n’osant pas ou aux femmes qui se persuadent que le sport n’est pas fait pour elles ?
Maude : Le sport est fait pour tout le monde, valide ou invalide, femme ou homme. Le sport c’est ce moment égoïste où l’on se fait du bien (seul ou en collectif), ce moment où l’on entre dans une relation particulière avec son corps car ce dernier sera l’outil de notre progression, l’unique rouage à ne pas enrayer pour aller vers notre succès. Il permet de se sentir donc bien dans ses baskets, bien dans sa tête et de faire abstraction de ce quotidien pesant que nous ressentons au quotidien.
Et je pense même que ça rajoute du caractère à tous ses pratiquants, car on apprend à se battre contre soi-même, donc cela deviendrait presque une superbe arme pour finalement mieux se battre contre ceux qui nous manquent de respect non ?
Dans la vie, osez ! On ne sait pas ce que l’avenir nous réserve mais personnellement je n’aurais jamais le regret de ne pas avoir essayé un sport qui aurait pu me plaire, d’avoir tenté une épreuve même si elle est considérée comme ambitieuse. Quand on y croit, on y arrive forcément !
Vanessa : J’ai le sentiment qu’il y a deux tendances autour du sport en ce moment ; la démocratisation et aussi la recherche de performance. C’est un peu paradoxal non ? Je pense que les deux s’entremêlent d’ailleurs trop souvent sur les réseaux sociaux, générant des complexes et posant des barrières qui n’ont jamais eu lieu d’être. Le sport, c’est avant tout du plaisir. Que vous vous sentiez épanouie dans la pratique de la danse, de la natation synchronisée ou du football, peu importe. Il faut tester, sortir de sa zone de confort et oser ! Le premier pas n’est jamais le plus évident mais une fois qu’il est fait… Foncez !